
Historique
L’histoire du « Bar », au début il y a Fernand Deligny. À sa mort, j’étais au Coral, structure alternative à la psychiatre, héritière de cette histoire-là et je me suis plongée dans ses livres. Découverte faite : « L’art est esquive, le politique fait projet. » ; « L’art est détour pour rien, le politique tend à diriger. » C’est entre ces deux pôles que se joue mon intervention, et la question qui revient est: qu’est-ce qu’on va faire ensemble? Comment le Nous se constitue ?
Suite
Avec Lise Terdjman, artiste, nous nous sommes lancées dans un grand projet autour de ces lieux d’accueil et nous avons sillonné la France à leur découverte. Il s’agissait de produire des objets avec la collaboration de leurs habitants, accueillis, accueillants, intervenants, enfants et adultes.
Ce grand voyage fait d’allers et retours avec les institutions artistiques a donné naissance à des pièces, documentaires et poétiques entourant cette aventure d’une espèce de mythologie. « Le Bar, hommage aux lieux d’accueil » en est un des représentants. Jouant sur les écarts, nous relions espaces intimes, maison, lieu de vie et espaces publics, nature, café, lieu commun.




Le pont devenait un concept plutôt intéressant dans notre pratique. Nous multipliions les connexions_: institution et espace d’expérimentations, lieu de production d’une œuvre artistique et espace social, quai Malaquais et musée du Louvre, le moi et le Nous. Notre place d’artiste était dans cet « entre », un lien entre les lieux.
Ce qui se construit à ce moment-là pour moi, c’est : comment vivre ensemble en prenant en compte l’individu, la nature avec son sol et son ciel ? Textes et interventions se sont succédées mettant ces questions au centre.
On a alors imaginé le « Bar », un trait d’union, un autel sur lequel seraient projetés toutes les petites aventures humaines, les nœuds de la vie, la masse des possibles. Cet objet avait fermenté dans une antre, la cave du mûrier, sous l’école des Beaux-arts, lieu chargé d’histoire. Il s’est ensuite déplacé : salle Malaquais, fondation Icar, Cité International des arts. Il s’est enrichi d’attributs : la somme, les gaines, les cartes. Le bar réapparaissait dans les textes, les œuvres, sorte de fable à réinventer. Objet intransportable, il me rappelait qu’une œuvre se construisait là et qu’aucun circuit fermé ne pouvait empêcher l’éclosion de ce dessein. L’Y, d’y être là présent, en pratique, politiquement, tout en menant une production artistique pour rien se dessinait. Le y du lieu commun à des individus, plutôt que le « se » de la conscience partagée par des sujets.1





On a acheté la maison, Lise Terdjman n’était plus mon compagnon de route, ce fut Bastien Fiori, un urbaniste, qui fabrique la ville, le père de mes enfants. Mais le Bar n’est pas rentré, à cause de l’escalier. Il ne montait pas. Il est resté en bas, en vitrine d’un local commercial occupé par un service gaz. Tous les jours, mon regard sur lui, en germe d’une autre histoire. Moi, en congé parental, je faisais de la photo.

Chambre noire, musée, forêt, rue, enfants, porche, église, je prenais un énorme plaisir à révéler ces photographies. Les natures mortes s’accumulaient ; une a débordée, celle «au citron» je crois. Je ne sais pas bien si c’est moi qui suis entrée dans le tableau ou si c’est le tableau qui est sorti du cadre, mais le désir d’un lieu à partager était là.

Le Bar s’est transformé en véritable comptoir et avec Maki Ishii, nous avons ouvert le café des pratiques. Et sur le grande vitrine, nous avons placardé Le CAFÉ DES PRATIQUES, L’INVENTION d’une CULTURE COMMUNE pour transformer la société. Chaque terme se déployait dans un texte fondateur.
«Tout commence là où d’ordinaire on croit que cela s’arrête»2

Loin du culturel et de la logique de projet, j’assemble les morceaux du commun.
J’ai créé dans mon intimité une nouvelle manière d’être artiste, travaillant avec le commun, le territoire.
