Elisabeth Gerl, plasticienne

Artiste plasticienne,

avec un parcours classique (Ensba Paris, aide à la création, résidence exposition dans des musée nationaux, galerie, fondation…), Elisabeth Gerl a décidé il y a 15 ans d’intégrer la dimension sociale à son travail artistique et de « faire œuvre » au travers l’élaboration de dispositifs sociétaux (création de tiers-lieux, implication dans un organisme de formation, …). Son œuvre actuelle déborde largement de la seule sphère culturelle pour inclure la dimension intime et laborieuse. Elle tisse des passages poétiques et métaphoriques au travers du dessin, de la sculpture et de la photographie entre les différents axes de ses œuvres, ouvrages et expériences collectives. La langue et le jeu de lettres jouent une fonction particulière dans son travail, constituant des nœuds autour desquels s’articulent ses « faire ».

A partir de 1996, Elisabeth Gerl a fait l’expérience de lieux de vie, petites structures alternatives à la psychiatrie. Il s’agissait de produire des objets avec la collaboration des habitants de ces lieux de vie : accueillis, accueillants, intervenants, enfants et adultes. Ce grand voyage à travers la France, fait d’allers et retours avec les institutions artistiques, a donné naissance à des pièces, documentaires et poétiques.

Je vais exploser ma manière, format DVcam, 12minutes, 1999.

Le Bar, hommage aux lieux d’accueil, fabriqué pour l’exposition Des territoires est une commande, qui condense l’expérience des lieux d’accueil. 

Le bar hommage au lieu d’accueil, exposition des Territoires 2001, ensba, Paris. commissaire Jean-François Chevrier. 

C’est un paravent monumental de huit mètres de long, composé de quatre blocs, peint en trompe l’œil à la peinture à l’huile : dans ses veines, des milliers de dessins. Cette forme-support qui rassemblait ses expérimentations s’est ensuite déplacée dans d’autres lieux d’exposition, enrichie d’attributs (« somme », « menus »), de compléments (« gaines », « sculptures »). C’est avec cette grande barre, qui barre la vue, qu’elle est devenue artiste-femme, entre œuvres et activités. 

Le bar hommage au lieu d’accueil, exposition des Territoires 2001, ensba, Paris. commissaire Jean-François Chevrier. Photographie de Patrick Faigenbaum.

Ainsi « Le Bar » rentrait dans sa mythologie.

Fondation Icar, mai-juin 20002

Puis elle s’est barrée « barrée » 

A côté rêve un sphinx accroupi, 2004, musée du Louvre, commissaire Marie-Laure Bernadac.

Un jour, elle a transformé « Le Bar » en véritable comptoir et a fait un café autour. 

Le café des pratiques, 2012, photographie numérique

Le café des pratiques, lieu de jeux et de fabrications, invente une nouvelle forme d’hospitalité. Elle l’a ouvert avec l’aide d’une amie japonaise, Maki Ishii, il y a 9 ans, sur la rue, en bas de chez elle, dans un quartier intermédiaire de Besançon. Ce lieu accueille en moyenne trois cents personnes par semaine autour de pratiques : il crée du lien social et développe l’invention individuelle ou collective. Il s’est lui-même doté « d’attributs », base, école, jardin, habitat, maison d’édition.

Sans titre, 2015, dessin au crayon et peinture à l’huile

Sans titre, 2015, aquarelle.

La méthode qu’elle entreprend pourrait se dire ainsi : « Je pose l’activité et j’y inscris l’œuvre ». Poser et exposer l’activité, c’est produire un bloc d’expérience(s) ou, plutôt, son équivalent. Elle a posé et transposé le Bar dans des lieux différents : des ateliers, une salle d’exposition, un café. Le Bar s’est décliné. Il est entré dans un autre espace, sans lieu défini, composé de jeux de lettres.

 

Y, 2014, dessin sur papier courrier. Y, 2018, céramique.

Nom, masculin/féminin (le bar, la barre) et verbe (se barrer) se combinent sans doute comme les deux temps d’un processus, auquel viendra s’ajouter le bar ou loup de mer qui peut être commun ou tacheté. Et quand on le cuisine et le mange, il ne reste que l’arête. Il s’agit dans sa pratique personnelle de voir ou savoir –on peut entendre « ça-voir » – comment l’écriture, en tant qu’activité de tracer, participe d’une œuvre en process.

Vieilles fiches, 2019, dessin aquarelle, photocopie d’une Fiche

Yod, dessin, 2014                                              

Sans titre, céramique, 2017

Tout en s’intéressant de près aux spéculations mythopoétiques sur l’origine du langage, à la poésie visuelle, elle amasse un corpus d’images photographiques, filmiques, dessinées et d’objets sculptés, s’enroulant autour de sa propre mythologie.

Sysiphe, 2014, peinture à l’huile.

« Autour d’elle les mots, les lettres ont le pouvoir de devenir des objets, des objets de pensée, mais aussi le plus concret des formes. Une institution peut être en terre cuite, émaillée et passée au four, tandis qu’un bar, objet d’art en contreplaqué, devient un radeau, un lieu de convivialité, et qu’il en profite même pour changer d’économie en élargissant l’art à l’économie sociale et solidaire.
Elle tricote (féminin), bricole (masculin), hybride dans un paysage dont les éléments sont : la vie, les sciences humaines, l’information, le politique, la psychanalyse. Pour moi la nature de son travail est là, en actes, au carrefour de l’œuvre et de l’activité. Il ne s’agit jamais de choisir, ce n’est pas l’activité qui fait l’œuvre et/ou inversement, c’est plus complexe. » 

Marc Pataut , photographe

 

Vue de l’exposition lieu et lien, IRTS de Franche comté, 2018, fil et bois.

Elle a quitté l’art institutionnel après avoir participé à l’exposition de photographies À côté rêve un sphinx accroupi au musée du Louvre. « Je ne voyais plus l’intérêt de couvrir d’images des murs aveugles sans autre ancrage social, malgré l’immense importance que j’accorde aux espaces d’exposition. » avoue-t-elle. 

« Elle prit la mesure des conformismes et de l’inertie ordinaire des circuits de production artistique. Elle n’avait pas pris le pli. Elle préféra s’éloigner, « se barrer » pour tester ailleurs le Bar des possibles, ou ce qui en restait. »

Jean-François Chevrier, critique et historien de l’art.

Elle est partie vivre à Besançon, embarquant un bloc du bar.

Se barrer, c’était s’effacer de la liste des artistes homologués. Mais l’inscription s’est déplacée. L’« ar(t)_» du bar l’a suivie. Il s’est déposé inconsciemment dans chaque prénom de ses enfants : Maria, Carmen, Lazare. 

Enfants, ville, 2015, photographie argentique. 

L’arÊTE, ou l’art d’Être Tous Ensemble est ainsi née de ce qui reste du « bar », le bar, le loup. 

Le collectif s’est déplacé. Du 105 bis au 109, qui peut s’entendre aussi « sans neuf » ou « sang neuf », car ce local héberge des déchets destinés à être utilisés pour des projet créatifs.

La vocation de l’arÊTE est d’ouvrir des espaces poétiques et de rendre possible des émotions, tout en mobilisant un collectif. 

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Cabâche, 2018, musée des maisons comtoise, installation.

Tra corpo e anima, un posto sotto le stelle, CITTADELLARTE Fondazione Pistoletto, métal et fil, 2019.

Œuvre issue d’une semaine de travail collectif à la gare d’Ivréa (Italie) avec les voyageurs, les habitants du quartier, des lycéens, des personnes en situation de handicap.

Le travail d’Elisabeth est machinique, il intègre les différents éléments de sa vie, de son activité, et les transforme en œuvre ; qui peuvent aussi bien occuper l’espace muséal que l’espace social.